Séminaire “Le savoir de la famille : l’hérédité entre science et gouvernement” (19e-20e s.) (2008-2009)

Séminaire présenté par Michele Cammelli et Claude Olivier Doron

Mercredis 11 février, 25 février, 8 avril, 29 avril, 13 mai, 10 juin

de 18h à 20h

Salle 065 E – Halle aux Farines

Esplanade Pierre Vidal-Naquet – Paris 13e

Le développement historique de savoirs de l’hérédité dans les sociétés occidentales semble se présenter sous la forme d’un chiasme : la famille devient objet de savoirs à prétention scientifique, qui l’inscrivent par ailleurs dans la continuité du vivant (les mécanismes de l’hérédité) en même temps que ces savoirs investissent de l’intérieur l’espace de la famille (la procréation, la régulation des comportements) en donnant un support à un certain nombre de pouvoirs : médicaux, judiciaires ou politiques, mais aussi à l’appropriation par les sujets eux-mêmes de ces savoirs. En analysant des moments historiques précis et des textes paradigmatiques, le séminaire vise à interroger le problème de l’hérédité à partir de la question suivante : de quelle manière l’histoire du problème “biologique” de l’hérédité participe-t-elle d’une l’histoire des techniques de gouvernement ?

Dans sa leçon du 17 janvier 1979, Michel Foucault proposait d’examiner comment, dans tout un ensemble de cas, on était passé, au niveau des techniques de gouvernement, d’un régime de juridiction, c’est-à-dire où la question fondamentale était celle de la justice, de la distribution et de l’application du droit, à un régime de véridiction, où la question fondamentale est celle de la vérité, en l’occurrence scientifique, qui venait redoubler et dominer les pratiques juridictionnelles. L’hérédité mériterait sans aucun doute d’être étudiée de cette manière dans sa relation avec la famille et l’individu : de lieu de justice, posant le problème de la répartition du patrimoine (problème de l’héritage dans le droit de la famille), ou fondant un statut juridique et social donnant accès à certains droits (problème du lignage), sans parler bien évidemment de la manière dont elle fondait juridiquement la souveraineté politique elle-même, elle est devenue progressivement un lieu de vérité, un lieu où se loge par excellence la vérité de tout sujet, et le problème scientifique de l’hérédité est venu redoubler, dominer les pratiques juridiques et est devenu un principe essentiel de pratiques de gouvernement.

Ce qui est à interroger historiquement, ce n’est donc pas seulement le statut épistémologique des savoirs de l’hérédité en tant que forme de connaissance mais bien la manière dont l’hérédité devient un lieu de véridiction et un principe déterminant des pratiques de gouvernement.Analyser donc le statut techniquesocial et politique de ce savoir, c’est-à-dire les rapports que, dans son histoire, il entretient avec

1) des techniques de gouvernement du vivant qui précèdent et rendent possible son apparition (les techniques d’élevage),

2) des pratiques sociales qui accompagnent son affirmation (une nouvelle médecine de l’hérédité qui va investir de manière inédite le champ de la famille),

3) des enjeux politiques qui le rendent susceptible de se traduire directement et massivement en techniques générales de gouvernement des hommes.

Il est bien évident que ce séminaire ne saurait retracer l’histoire si complexe et déjà bien documentée de ces évolutions. Nous voudrions plutôt nous concentrer sur un aspect particulier de cette histoire qui nous permette néanmoins d’en saisir les transformations générales : la manière dont les savoirs sur l’hérédité viennent investir le champ de la famille, c’est-à-dire d’une part comment ils objectivent, à des moments historiques différents, des types différents de « famille » : il est bien clair par exemple qu’il n’y a pas identité entre le type de « famille » objectivé dans les discours sur la transmission des qualités dans les lignées nobles ; celui objectivé par les savoirs sur l’hérédité pathologique de la seconde moitié du XIXe siècle ; et celui de la génétique moderne. Une analyse rigoureuse consiste donc à bien marquer les ruptures entre les types de famille objectivés, ruptures qui vont venir jouer au niveau des techniques de gouvernement, si bien que là encore ce seront des « familles » différentes qui feront l’objet de ces pratiques. D’autre part, il s’agit d’examiner justement comment les savoirs sur l’hérédité viennent servir de supports à des techniques de gouvernement qui, elles aussi, se transforment, changent d’échelle et d’objectifs, et obéissent à des principes divers. Comment, donc, les savoirs sur l’hérédité comme savoirs de la famille se trouvent corrélés à des techniques diverses de régulation, de gestion, de transformation de la famille, depuis les conseils donnés aux parents pour produire de beaux enfants jusqu’à des projets qui visent à la régénération, à travers les familles, de l’espèce humaine toute entière, depuis des mécanismes locaux comme l’intervention d’experts en « génésie » devant guider le choix des familles jusqu’à des modes de régulation étatiques, parfois autoritaires, parfois incitatifs.

Il est bien clair, là encore, qu’il ne s’agit pas de viser à l’exhaustivité, mais plutôt de pointer un certain nombre de moments précis où se sont opérées des transformations ou des changements de seuil. Le séminaire procédera de la manière suivante : une série d’interventions sur des périodes bien précises, assurées par des spécialistes de la question envisagée ou par les organisateurs ; une analyse détaillée d’un ouvrage important pour analyser les ruptures qui nous intéressent.

Cette année sera consacrée essentiellement à la période qui court de la seconde moitié du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle, même si nous commencerons par une séance liminaire sur le savoir spécifique sur la transmission des qualités dans les lignées nobles, qui ne peut être rigoureusement qualifié de « savoir de l’hérédité » (à la rigueur, ce concept n’est pertinent qu’à partir du XIXe siècle) mais constitue un point de départ utile pour saisir un ensemble de ruptures. On poursuivra ensuite en examinant les corrélations entre le développement d’un savoir de l’hérédité proprement « biologique », les propositions visant à l’inscrire dans une entreprise de régénération de l’espèce humaine, et le développement de nouvelles pratiques d’élevage aux XVIIe et XVIIIe siècle. On comparera dans ce cadre les textes de Vandermonde (Essai sur la manière de perfectionner l’espèce humaine, 1756) et de Bourgelat (Elémens de l’art vétérinaire et Traité des haras, 1762-1770). Puis on étudiera le passage de la notion d’hérédité du champ juridique au champ biologique au début du XIXe siècle et on se référera au texte de Prosper Lucas pour l’occasion (Traité physiologique et pratique de l’hérédité naturelle, 1847-1850). On consacrera une séance à l’examen des doctrines des années 1850-1860 sur l’hérédité morbide et le développement d’une médecine de l’hérédité, avant de dédier une séance à Darwin et à l’ambivalence du concept de sélection. La dernière séance portera enfin sur les études de famille qui se développent, notamment avec Galton, à la fin du XIXe siècle.

Le séminaire devrait se prolonger l’année prochaine avec une série de séances portant sur le XXe siècle et une seconde partie, consacrée à certains enjeux contemporains des rapports entre hérédité et famille.

Programme provisoire

Mercredi 11 février : Introduction aux enjeux du séminaire, Michele Cammelli et Claude-Olivier Doron

et L’idée d’hérédité des qualités au XVIe siècle, Michel Nassiet, professeur d’histoire moderne, Université d’Angers

Mercredi 25 février : Perfectionnement de l’espèce humaine, régénération des espèces animales et techniques d’élevage au XVIIIe siècle , Claude-Olivier Doron, AMN Université Paris VII-REHSEIS- Centre Canguilhem

Mercredi 8 avril : De l’héritage comme concept juridique à l’hérédité biologique, Laure Cartron (Université ParisVII-REHSEIS)

Mercredi 29 avril : L’hérédité pathologique en médecine mentale et le gouvernement des familles, Claude-Olivier Doron,

Mercredi 13 mai : séance annulée

Mercredi 17 juin : Darwin et le problème de la sélection , Michele Cammelli, Centre Canguilhem