Séminaire International d’Études sur le Soin

21 octobre 2016 à 14 h

Jean-Claude K. Dupont – directeur adjoint de la Chaire HOSPINNOMICS,

AP-HP – PSE

« La recherche est-elle encore et toujours à la marge du soin ? Enjeux de recherche, d’évaluation et de délibération en oncologie pédiatrique. » à l’ENS

L’importance d’une distinction claire soin/recherche est connue. Il faut prévenir toute confusion entre les objectifs du soin (guérir, soulager) et les objectifs de la recherche (savoir, expérimenter). L’argument même que les deux peuvent converger en une réponse favorable chez un patient donné apparaît à cet égard suspect, car il pourrait obscurcir le jugement de ceux qui proposent, ou de ceux qui acceptent, de participer à un essai clinique. Sur la base de travaux menés en oncologie pédiatrique dans le cadre du projet EU-FP7 ENCCA, je propose d’interroger cet impératif d’une séparation radicale à partir de trois exigences concurrentes qui structurent aujourd’hui largement notre rapport aux services de santé : 1° le souci de la personne et de son bien-être, 2° l’implication des patients et la démocratie sanitaire, 3° l’individualisation des soins et la médecine de précision. Si ces rapprochements ne sont pas artificiels ou transitoires, sommes-nous voués à choisir entre dilution ou rigorisme éthiques ? A quel niveau une conciliation des principes pourrait-elle jouer ?

– Séminaire International d’Etudes sur le Soin (SIES) : imagination, relations morales et éthique du care / International Seminar on Care Studies: imagination, moral relations and care ethics 13-18 juillet 2015 Ces rencontres ont été initiées par un collectif interdisciplinaire de six chercheurs qui anime depuis 2010 un « Séminaire international d’études sur le soin », également à l’origine de la collection « Questions de soin » éditée aux PUF. Le SIES a saisi l’occasion unique du contexte de travail des Treilles pour approfondir certaines problématiques liées à l’imagination morale au cœur des relations de soin au sens large, par la fréquentation d’une diversité d’œuvres et de traditions, par la considération de recherches récentes en sciences sociales, menant à l’ouverture d’un champ nouveau d’études. Cela à travers de larges plages de discussion entre des spécialistes rarement réunis, dont les travaux s’inscrivent dans des disciplines telles la philosophie, la sociologie, les sciences médicales et psychiatriques, les lettres, la psychologie, la psychanalyse, l’éthologie ou l’économie, parmi lesquels trois participants juniors.

 

MOTS-CLÉS : Philosophie, sciences sociales, soin, imagination, relations, éthique, morale, herméneutique, phénoménologie, empathie, compassion, sympathie

 

COMPTE RENDU : COORDONNÉS PAR F. WORMS ET N. ZACCAÏ-REYNERS, LES TRAVAUX PRÉSENTAIENT UNE CLAIRE COMPLÉMENTARITÉ PHILOSOPHIE/SCIENCES SOCIALES. LORS DE CHAQUE JOURNÉE IL FUT PRIS SOIN DE MÊLER LES REGISTRES ET DE MÉNAGER D’IMPORTANTS TEMPS DE DISCUSSION ET DE SYNTHÈSE ANIMÉS PAR LES MEMBRES DU SÉMINAIRE ET LES ORGANISATEURS. LES INTERVENTIONS VISAIENT À OUVRIR DES PLAGES DE RENCONTRES ET DE DISCUSSION AUTOUR DE LA DIMENSION IMAGINAIRE QUI TRAVERSE LES RELATIONS MORALES EN GÉNÉRAL, LES RELATIONS DE SOIN EN PARTICULIER, DANS LEUR DIVERSITÉ. NOUS REPRENONS ICI QUELQUES LIGNES DE FORCE QUI SONT APPARUES AU COURS DES ÉCHANGES, SANS POUVOIR PRÉTENDRE À L’EXHAUSTIVITÉ.

 

Plusieurs exposés ont porté sur l’appréhension conceptuelle de l’imagination qui, couplée à la dimension morale, est loin de connaître un usage stabilisé. En discussion avec les récents développements de la philosophie morale, mais aussi de la psychologie cognitive, ces travaux interrogent les relations de soin en portant en particulier l’attention sur la vie émotionnelle. Parmi les auteurs étudiés, citons notamment Simone Weil, Alfred Schütz, Hans-Georg Gadamer, Charles Sanders Peirce, Paul Ricœur, Charles Taylor, David Hume, Marta Nussbaum. Reprenant les discussions autour des notions d’empathie (ressentir ce que ressent autrui), de compassion (ressentir la souffrance qui affecte autrui) et de sympathie (être affecté par ce qui affecte autrui tout en en restant extérieur), l’un des enjeux qui traversa les rencontres peut être formulé ainsi : comment accéder au monde d’autrui, comment accéder à ce qui l’intéresse? Pouvons-nous appréhender les critères de désirabilité qui constituent son monde? Avec l’idée que ce geste d’ouverture est essentiel non pas à l’extension de la vérité, mais bien à l’extension des possibilités de l’humanité. Et quelle place l’imagination occupe dans ce dessein?

Plusieurs interventions présentaient des recherches en sciences sociales menées dans cet horizon de compréhension dans différents contextes de soin, donnant toute l’attention requise à ce que les enquêtés trouvent important dans ce qu’ils vivent et dans ce qu’ils font. Et cela alors même que les univers explorés furent des plus divers, portant sur les relations entre soignants et patients, sur la vie de communautés de résidents psychotiques, sur la rencontre des mondes d’animaux domestiques ou sauvages, sur les relations qu’entretiennent les vivants avec leurs morts, sur la rencontre analytique.

Il est notamment apparu, au fil des exposés, que l’accès à l’expérience et au monde de ces autrui les plus divers requiert toutes sortes de médiations qui renvoient plus ou moins à l’univers conceptuel de la notion d’imagination. Que ce soit par un travail sur soi, par exemple sur sa propre capacité attentionnelle à la souffrance d’autrui, ou par le détour de récits, récits fictionnels ou récits d’expériences, ces médiations réclament un soin spécifique. Ainsi en va-t-il de l’art de poser des questions sans tuer leur objet, permettant par exemple à des récits portant sur la présence des morts dans la vie des vivants d’advenir. Ces récits passent alors par l’usage du « comme si », qui semble opérer comme une forme de protection afin que la résolution des ambiguïtés qui les habitent ne soit pas requise. L’accès au domaine de l’imagination où se présente autrui semblerait prendre appui sur une ontologie du « et – et » (l’être déterminé et libre, le récit subjectif et réaliste…), permettant la co-présence de termes habituellement renvoyés au « ou bien – ou bien ». De ce point de vue, la littérature, les arts plus largement, offrent un milieu, un « inter-monde », monde médian et médiateur de création de formes susceptibles de nourrir notre capacité à l’hospitalité envers des êtres et des formes de vie étrangers, dans une tension soutenable à la familiarité.

Pour faciliter le contact, l’ouverture à autrui, voire la constitution de collectifs plus ou moins respectueux de la diversité, une voie intéressante a été explorée dans plusieurs interventions. Elle s’arrête sur l’aménagement de l’environnement comme opérateur de soin indirect. Tout comme la domestication des plantes passe par le travail de la terre, une façon médiate d’atteindre un objectif thérapeutique ou pédagogique passerait par la construction d’univers artificiellement aménagé. Ainsi l’ethnographie de dispositifs de théâtre action à destination de publics fragilisés socialement et psychologiquement montre déjà la réassurance profonde éprouvée par le fait de pouvoir évoluer dans un espace où le paradoxe est toléré, où la confiance est progressivement construite en appui sur divers exercices portant sur la disposition à se montrer perméable à ce qui se déroule, s’exprime, une façon de prêter attention à autrui qui passe par l’harmonisation des rythmes, l’écoute corporelle, etc. Dans le même temps, les expériences rapportées présupposaient de se déprendre de tout objectif thérapeutique à court terme, pour commencer par simplement ouvrir la possibilité d’une rencontre, d’un vivre ensemble en présence proche, afin d’inventer un mode de vie à la convenance des concernés. Ce qui dans l’expérience qui fut rapportée de contacts d’un enfant autiste avec des dauphins sauvages supposait pour l’accompagnateur d’accepter de vivre dans la vacance du langage, tout en défonctionnalisant toutes les actions engagées, comme le proposait Fernand Deligny. Alors se dessinent des chemins dont les parcours ne peuvent être anticipés, suivant les fils tissés au gré d’interactions vivantes dans le cadre d’un espace contenant bienveillant. C’est donc étrangement en suspendant tout objectif thérapeutique au profit d’une coprésence attentive que le soin peut ici se déployer. Le cadre ou l’environnement bienveillant contenant en lui-même l’engagement des ressorts thérapeutiques.

Ceux-ci toutefois réclament des conditions socio-économiques d’émergence et de maintenance exigeantes. La défonctionnalisation de la vie ordinaire comme soin présente des difficultés principielles à s’inscrire dans une logique du projet qui, elle, trouvera davantage d’aisance à être associée à des critères d’efficacité susceptibles de légitimer des soutiens financiers. Les enquêtes présentées s’inscrivaient sans surprise dans des secteurs d’activités d’innovation sociale qui prennent en charge les aspirations à répondre à des problèmes laissés vacants par les secteurs publics et marchands. Au terme de ce parcours ici brièvement esquissé à travers toutes les sciences de l’homme, le rayonnement large autour des questions de soin engagé par le SIES confirme toute sa fécondité.

http://www.les-treilles.com/seminaire-international-detudes-sur-le-soin-international-seminar-on-care-studies/